lundi 25 février 2019

du frigo au four ...

Le Cap Horn ne serait presque qu'un lointain souvenir s'il n'avait pas laissé autant de traces au plus profond de moi. Il a gravé son passage comme un sillage indélébile, un albatros tatoué sur mon cœur. Cela fait quand même trois semaines et je m'en souviens comme si c'était hier ...
Nous sommes maintenant bien remontés dans l'Atlantique, à la latitude de Rio mais un peu encalminés dans un magnifique anticyclone.
Nous étions frigorifiés et trempés par les embruns des hautes latitudes et maintenant nous voici immobilisés dans une pétole caniculaire. L'été austral bat son plein, 37 ° C à l'intérieur comme à l'extérieur, sans un souffle d'air. Ne nous plaignons pas, la mer est à 30 ° C, température idéale pour les bains rafraîchissants. Eole ne semble pas trop perturbé par notre sort, il envisage même de continuer à jouer aux abonnés absents d'ici les prochains jours. Il ne nous reste plus qu'à sortir le tricot pour patienter. Heureusement, il est largement autorisé de se laisser bercer par ce paysage maritime enchanteur, de dormir à la belle étoile, sous la Voie Lactée, avec la Lune comme lampe de chevet pour bouquiner tranquillement avant de s'endormir sous la Croix du Sud bienveillante. Je ne saurais pas donner de définition au bonheur mais cela pourrait s'en rapprocher ...

Fanch, heureux en mer, ...

mardi 5 février 2019

Cabo de Hornos,

Depuis une semaine nous enchaînions dépressions sur dépressions qui nous poussaient inlassablement. De grosses journées et de belles distances parcourues mais aussi beaucoup de fatigue accumulée. Notre impatience à atteindre le fameux Cap cachait une sorte de lassitude. Et enfin le jour J arrivait !
Francis était devant moi depuis quelques jours, depuis le sauvetage de Sébastien. Il est donc arrivé le premier, le matin, dans la brume sans avoir la chance de l'apercevoir, même en s'approchant à 13 nautiques. La météo était encore dynamique, avec des vents portants de 30 à 40 noeuds et une bonne houle de 4 mètres, quand même bien praticable. Chanik ne portait qu'un petit tourmentin à l'avant. Tout se passait bien et d'après mes calculs je devais arriver en début d'après-midi.
Un peu avant midi, j'étais à une quinzaine de nautiques du rocher, toujours rien en vue. Je commençais à me faire une raison : je ne le verrai pas non plus cette fois ci. La mauvaise visibilité en décidait ainsi. « Encore un qui ne connaît pas Raoul ! », se serait écrié Bernard Blier dans les Tontons Flingueurs. Je continuais à me rapprocher prudemment quand soudain, un appel radio me sortit de mon intense détermination : « Chanik, de control trafic de Cabo de Hornos, do you read me ? over ». Nous avions été détectés grâce à notre signal AIS émis en permanence. S'en est suivi un long échange à la vhf avec le gardien du phare (guetteur sémaphorique). Quelle joie de partager ce moment en direct avec lui ! Il me confirme la visibilité réduite à 3 nautiques et me suggère d'approcher encore. Dans ces conditions, lorsque la météo est mauvaise, comme aujourd'hui, il ne me semblait pas très prudent d'approcher trop près à cause de la remontée des fonds qui peuvent avoir une incidence sérieuse sur la grosseur des vagues. Il me rassure et m'annonce que c'est finalement très praticable. Je le soupçonne d'avoir senti à quel point je le voulais ce Cap !
Effectivement, une heure plus tard, comme il l'avait prévu, le Rocher se détache doucement de la brume ... et en même temps le ciel se déchire pour laisser apparaître complètement le soleil, comme par miracle ... Ho ! Je n'en revenais pas moi-même ! Et là, une émotion intense s'empare de moi, je me mets à hurler de joie, de bonheur, j'en pleure, je suis complètement boulversé ... ça y est ! Il est là, devant moi, à 3 nautiques, grandiose, énorme ! Ma surprise est interrompue par un nouvel appel radio, mon gardien de phare, mon protecteur du lieu, venait de m'apercevoir. Il était aussi content que moi. Je ne lui ai pas caché ma joie et il le sentait bien. Et nous voilà à discuter de cette magnifique aventure qui m'a amené ici aujourd'hui. Il me demandait si tout allait bien et si je n'avais pas de problème, ... une magnifique discussion surréaliste qui a bien duré une quinzaine de minutes. Nous avons échangé nos adresses mails pour nous recontacter plus tard. Il m'enverra des photos de Chanik qu'il est en train de prendre en ce moment même ... je suis comme dans un rêve ...
Non, je suis bien là, je le vois, il est sous mes yeux. Je prends enfin conscience de ce que je suis en train de vivre. Je savoure. Quelle émotion ! À ce moment là, dans ma tête, j'entends le Grand Jacques chanter :
« ... Rêver un impossible rêve,
Porter le chagrin des départs,
Brûler d'une possible fièvre,
Partir où personne ne part,
Aimer jusqu'à la déchirure,
Aimer, même trop, même mal,
Tenter sans force et sans armure,
d'atteindre l'inaccessible étoile ... »
Ces mots m'accompagnent depuis le départ du Bono. Écrits au dos d'une carte postale représentant« Joshua », le voilier de Bernard Moitessier, ces mots tracés par les mains de Magali . Une envie de l'appeler, là, maintenant, pour pleurer de bonheur avec elle, en direct. Emotion encore plus forte. Nous l'avons passé ensemble ce Cap Horn. C'est grâce à elle si j'y suis arrivé. Elle a sa part, énorme, dans la réussite de ce projet complètement fou ...
Soudain, une grosse déferlante me rappelle à l'ordre, cockpit envahi, je m'accroche à la barre pendant ce coup de gite monumental. Et oui, on est quand même dans l'un des endroits les plus dangereux de la planète. Il faut rester vigilant, toujours. Malgré mon harnachement de gros temps, je suis complètement trempé. Trempé mais heureux ! Mon téléphone s'est noyé, un de plus ...
L' Atlantique est devant nous. Il nous fait un accueil somptueux, beau temps et belle mer depuis deux jours. Le bonheur !

dimanche 3 février 2019

Cap Horn

Chanik et moi avons franchi le Cap Horn ce dimanche 3 février 2019 à 19h (heure française).
Je vous prépare le récit épique de cet épisode ...